La Russie, bouclier diplomatique du régime de Bachar al-Assad

26/01/2012 16:54

La Russie, bouclier diplomatique du régime de Bachar al-Assad

La Russie, bouclier diplomatique du régime de Bachar al-Assad

Moscou affiche un soutien indéfectible au régime syrien en s'opposant à des sanctions, voire à une intervention étrangère dans le pays pour stopper la répression. Comment interpréter cette position qui irrite les Occidentaux ? Explications.

Par Marc DAOU (texte)
 

La Russie ne lâche pas Bachar al-Assad. Alors que la Syrie, en proie à une contestation populaire réprimée dans le sang depuis 10 mois, est de plus en plus isolée sur la scène internationale, Moscou continue d’afficher un soutien indéfectible au régime du président syrien. Notamment à travers un appui diplomatique constant qui s’est encore vérifié cette semaine. Mercredi 25 janvier, la Russie a en effet réaffirmé son refus obstiné d’envisager des sanctions ou une intervention étrangère contre Damas, son allié traditionnel au Moyen-Orient depuis l’ère soviétique.

Inflexibilité russe

"Nous sommes ouverts à toute proposition constructive visant à mettre fin aux violences" en Syrie, a déclaré, ce même jour, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, ajoutant que toute nouvelle initiative des Nations unies ne pourrait justifier l'usage de la force ou "des sanctions prises sans aucune consultation" avec Moscou et Pékin, membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. La veille, un porte-parole du département d'État américain avait indiqué que des responsables américains et russes avaient eu des discussions "très constructives" et "très utiles" sur la crise en Syrie, sans pour autant constater de "changement majeur" dans la position de Moscou. La Russie n’a pas non plus commenté le plan proposé le 22 janvier par la Ligue arabe prévoyant à terme le départ du président Assad.

 
L’inflexibilité russe n’est pas récente, au grand dam de l'opposition syrienne. En octobre déjà, la Russie avait opposé son veto à une résolution du Conseil de sécurité, qui menaçait Damas de sanctions. En contrepartie, les Russes avaient présenté leur propre projet de résolution le 15 décembre. Ils y mettaient sur un pied d'égalité la responsabilité du pouvoir syrien et celle de l'opposition dans les violences. Un point de vue jugé inacceptable par les Occidentaux, qui ont rapidement déchanté après avoir cru à un début d'infléchissement de la position du Kremlin. "Les Russes aident la Syrie à gagner du temps en prenant les Occidentaux à leur propre jeu, c'est-à-dire en présentant à leur tour une résolution que ces derniers ne peuvent pas accepter", expliquait récemment à FRANCE 24 Fabrice Balanche, directeur du groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, professeur à Lyon-2 et auteur de "La Région alaouite et le pouvoir syrien". Depuis les discussions sont paralysées à New York.
 
Ce bouclier diplomatique russe protège encore son allié et partenaire économique syrien. Mais l’attitude de Moscou dépasse la simple question syrienne. "On est vraiment dans une lutte géopolitique : la Russie veut jouer un rôle sur la scène internationale. Après la chute des régimes irakien et plus récemment libyen, le Kremlin ne veut pas perdre le seul allié qui lui reste désormais au Moyen-Orient", souligne Fabrice Balanche.
 
"Coopération militaire fondamentale"
 

Mais le soutien du Kremlin ne se manifeste pas seulement sur le plan diplomatique. La coopération militaire entre les deux pays étant la pierre angulaire de cette alliance stratégique. "Les relations économiques entre les deux pays ne suffisent pas à expliquer le soutien que les dirigeants russes continuent d’accorder à Bachar al-Assad. La coopération militaire joue ici un rôle plus fondamental", note l’ancien diplomate Ignace Leverrier, sur son blog hébergé par lemonde.fr "Un œil sur la Syrie"

Une analyse que partage Fabrice Balanche. "Il est impensable d’envisager que Moscou puisse un jour donner son feu vert à une intervention armée alors qu’elle entretient d’importants liens militaires et stratégiques avec Damas. Elle lui fournit de l’armement et possède une base navale à Tartous, sur le littoral syrien", explique-t-il. En 2010, la Syrie a acheté pour 700 millions de dollars d'armements à la Russie, ce qui représente 7 % des ventes russes à l'étranger dans ce secteur, selon le cercle de réflexion russe Cast.
 
Le 23 janvier, le quotidien russe "Kommersant" avait affirmé que la Syrie allait acheter à la Russie 36 avions d'entraînement militaire Yak-130, quelques jours à peine après des informations évoquant un navire russe transportant vers la Syrie 60 tonnes d'armes. Une cargaison envoyée par l'agence publique russe d'exportation d'armements Rosoboronexport. Le 24 janvier, les représentants permanents de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis aux Nations unies ont implicitement dénoncé cette coopération militaire entre les deux pays. L'ambassadeur français à l'ONU, Gérard Araud, a ainsi jugé "inacceptable que certains États, y compris au sein de ce Conseil [de sécurité], continuent à fournir les vecteurs de la violence" en Syrie. Au cours du mois d’août déjà, Rosoboronexport reconnaissait continuer à livrer des armes à la Syrie, estimant qu'en l'absence de sanctions, son groupe est tenu de respecter les contrats en cours.
 
Toutefois, malgré ce soutien diplomatique et logistique, la Russie ne pourra soutenir indéfiniment Bachar al-Assad. "Pour l’instant, le Kremlin persiste à appuyer le pouvoir syrien, mais si la situation interne se complique pour le régime, les Russes pourraient se rapprocher de l’opposition afin de préserver leurs intérêts stratégiques dans la région, qui sont plus importants que le maintien de Bachar", analyse, sous couvert d’anonymat, un ancien diplomate en poste au Moyen-Orient contacté par FRANCE 24. Et de conclure : "Si les Occidentaux et l’opposition parviennent à garantir la sauvegarde de ces intérêts, qu’il s’agisse des contrats d’armements et de la base de Tartous, alors Moscou pourrait lâcher le régime syrien".